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Coeur des Mots   

Plamondon et ses multiples sommets

Croustille | Publié le 4/8/2024, 14:58 | 795 Vues

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Luc Plamondon lors de la présentation de Notre-Dame de Paris à New York, en 2022

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Quelques minutes avant d’entrer en scène, les artistes de la nouvelle production de Starmania, qui sera présentée au Québec à compter du 6 août, entendent parfois une clameur provenant de la salle. « Ah ! Luc est là ce soir », disent-ils. En effet, chaque fois que le plus célèbre des paroliers de la francophonie assiste au spectacle, il est acclamé par le public.

Si Zéro Janvier, le businessman, rêve toujours d’être un artiste, il y a belle lurette que Luc Plamondon, le parolier, est devenu une superstar. Il fait même partie de la catégorie qui se passe de prénom. On dit Plamondon, comme on dit Brando ou Dietrich, Dufresne ou Filiatrault.

« Bien sûr que ça me fait plaisir d’avoir un tel accueil, me dit-il lors d’une longue et agréable rencontre dans un café de l’avenue Bernard. Quand je monte sur scène à la fin du spectacle rejoindre les artistes, j’ai toujours un moment d’émotion. »

Un soir, une spectatrice lui a tapé sur l’épaule. « Elle m’a dit que Starmania était le cadeau que lui faisait sa fille pour son 100e anniversaire. Et à côté de moi, il y avait un petit garçon de 9 ans. C’est quand même extraordinaire. »

Cette nouvelle production de Starmania, Luc Plamondon l’a ardemment souhaitée. Il tenait à offrir de nouveau au public cette œuvre musicale créée à la fin des années 1970 avec son ami Michel Berger.

J’ai fait partie de ceux qui voulaient [une nouvelle production]. Ça a quand même pris cinq ans avant que ça se fasse. La pandémie n’a pas aidé.

-Luc Plamondon

Parmi les éléments qui ont permis à Luc Plamondon d’atteindre son but, il y a eu l’arrivée de Thomas Jolly, un metteur en scène français parmi les plus doués de sa génération et signataire de la grandiose cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Paris. Malgré la différence d’âge entre les deux hommes, la mayonnaise a pris. « Je ne le connaissais pas, dit Plamondon. On s’est donné rendez-vous dans un resto. Il m’a dit qu’il allait me surprendre avec sa proposition. Il n’avait pas tort. »

En effet, l’homme de théâtre en met plein la vue aux spectateurs grâce à un espace scénique d’une ampleur exceptionnelle sur lequel il fait évoluer des décors qui nous font pénétrer dans le fameux Monopolis, imaginé par Plamondon il y a maintenant près de 45 ans.

Fabuleux ! Grandiose ! Trois heures de grand bonheur ! Spectaculaire ! Voilà ce qu’on répète en France depuis 18 mois au sujet de ce spectacle.

Dès la mise en orbite de cette mouture, les journalistes et observateurs ont établi toutes sortes de parallèles entre les thèmes de Starmania et l’actualité contemporaine. Montée du terrorisme, effondrement de tours, dérives du capitalisme, président dangereusement ambitieux, couple de pouvoir, transsexualité, obsession de la célébrité, ravages des réseaux sociaux… la réalité embrasse la fiction.

Luc Plamondon explique les choses avec une humilité désarmante. « Moi, j’ai vu les choses d’une certaine façon au moment de l’écriture et le public perçoit cela autrement aujourd’hui. Tant mieux. »

Le duo Berger-Plamondon

Quand on ramène Luc Plamondon à l’origine de Starmania, les souvenirs fusent de toutes parts. Il prend visiblement plaisir à les raconter. Tout d’abord, les premiers contacts avec Michel Berger, qui a souhaité travailler avec le parolier québécois après avoir écouté les premiers disques de Diane Dufresne. Il a aimé sa poésie franche et urbaine.

Plamondon a en mémoire le séjour qu’il a fait avec Michel Berger au cap d’Antibes, en 1977. C’est là que les premières chansons sont nées. « Il y avait un sous-sol et un piano. On travaillait là. Un soir, après le souper, Michel m’a arraché une feuille sur laquelle était écrit “on dort les uns contre les autres”. Il a dit : ‟C’est quoi, ça ?” Il est allé au piano et la chanson est née en quelques minutes. »

Luc Plamondon se souvient aussi de la manière dont la structure du Blues du businessman est apparue. « J’avais écrit la première partie, celle où Zéro Janvier se décrit tel qu’il est. Et puis, plus rien. La seconde partie, celle où il dit celui qu’il voudrait être, m’est venue. Ça a donné l’idée à Michel d’aller ailleurs musicalement. C’était tout un moment. »

Au fil de l’écriture, les personnages ont pris place, la trame s’est précisée. Le génie de cette œuvre tient sans doute dans le cadre que Plamondon a créé, un univers à la fois très loin et très proche de nous.

Quand les gens viennent me parler, c’est pour demander comment telle ou telle chanson est née. Les gens s’identifient souvent à un personnage en particulier.

-Luc Plamondon

La première production de Starmania a vu le jour en avril 1979 au Palais des Congrès de Paris. Même si les deux créateurs s’étaient promis de ne pas recruter « leur chanteuse », ils sont revenus sur leur décision. « France Gall était la femme de Michel et Diane [Dufresne] était en quelque sorte ma femme à cette époque, dit-il en souriant. Sans qu’on s’en parle, au même moment, j’ai écrit pour Diane Maman si tu m’voyais… et Michel a composé Si maman si pour France. »

Il ne fut pas facile de convaincre Diane Dufresne de prendre part à cette aventure. Michel Berger a pris les grands moyens en se rendant chez elle, à Outremont. « Il était gêné, se souvient Plamondon. Il lui a joué Les adieux d’un sex-symbol une fois, deux fois, trois fois. Elle était éblouie. Il lui a aussi joué Les uns contre les autres. Le lendemain, sa secrétaire a fait savoir que Diane Dufresne n’était pas une chanteuse de slow », relate-t-il en riant.

Berger aimerait cette production

Quand Luc Plamondon raconte l’histoire de Starmania, c’est en évoquant les nombreux artistes qui ont enfilé les costumes et la détresse des personnages. « Une vingtaine d’interprètes sont devenus très connus, dit-il. Mais au fond, la vraie vedette de ce spectacle, c’est la musique de Michel et mes paroles. C’est ça que le public veut d’abord retrouver. »

Luc Plamondon est persuadé que Michel Berger, s’il vivait encore, aimerait beaucoup la nouvelle production de leur œuvre. « Il serait très content. Il aimait que ça soit moderne, que cet opéra rock évolue. Il serait fier. »

Avant de le quitter, j’ai voulu savoir quelle place occupe cette œuvre dans son immense parcours. Plamondon est l’auteur de 400 chansons, dont près de 80 ont été de grands succès. « Oui, bien sûr, ça a changé ma vie. Mais il ne faut pas croire que ça s’est fait instantanément. »

Après la création à Paris, Michel Berger a fait des chansons pour France Gall et ils sont partis en tournée. Moi, je me suis retrouvé avec un chèque de 100 000 francs et je suis parti en Italie. Je n’avais rien devant moi. De retour à Montréal, je me suis dit qu’il fallait que je fasse encore vivre cette œuvre.

- Luc Plamondon

C’est ainsi que la première production québécoise a été créée en 1980 à la Comédie Nationale (située dans la station postale C, rue Sainte-Catherine). Et ça sera un triomphe. Même Nathalie Petrowski, qui avait démoli la production française un an plus tôt, sera dithyrambique.

Ce que Plamondon a voulu me dire, au fond, c’est qu’un créateur a beau semer, s’il n’entretient pas son œuvre, elle ne grandira pas. L’auteur, qui affiche maintenant 82 printemps, a vu au cours des derniers mois Starmania et Notre-Dame de Paris vibrer en même temps sur scène. Du jamais-vu pour un auteur de chansons.

On pensait que Luc Plamondon avait atteint tous les sommets. On ne savait pas que les montagnes cachaient d’autres cimes. Et qu’il pouvait encore les atteindre.

Starmania, du 6 au 18 août à la Place Bell, à Laval

Mario Girard

La Presse

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