Navigation


 Webzine


 Retour au forum

Coeur des Mots   

Un nombre record de médecins quittent le système public québécois

Croustille | Publié le 24/7/2024, 10:13 | 824 Vues


Les médecins québécois n’ont jamais été aussi nombreux à se désaffilier du système public.

________________________________________________________


Les médecins québécois n’ont jamais été aussi nombreux à se désaffilier du système public. Attirés par de meilleurs horaires, de meilleurs salaires et l’absence de nombreuses restrictions, plus de 744 médecins de famille et spécialistes, selon des données datant de la mi-juin, pratiquent aujourd’hui hors du régime public québécois. Ils étaient 454 en 2020.

Selon des données de l’assurance maladie du Québec, en date du 17 juin dernier, 3,5 % des médecins québécois exerçaient dans le privé, contre 2,9 % en 2023 et 2,16 % en 2020.

L’exode est plus marqué chez les omnipraticiens, où 5,09 % des effectifs (502 médecins) pratiquaient au privé au 17 juin 2024 contre 3,34 % en 2020. Chez les spécialistes, 2,13 % (242 médecins) pratiquaient hors du système public à la même date.

Selon des données préliminaires au 11 juillet, on compterait maintenant 774 médecins hors du régime public québécois, soit presque trois fois plus qu'il y a dix ans.

Des données qui font réagir la Dre Isabelle Leblanc, présidente de Médecins québécois pour le régime public (MQRP).

J’ai répondu à la même question il y a cinq ans, quand il y avait à peu près 25 médecins qui étaient allés au privé. Là, on parle d’une augmentation faramineuse de 22 %. Moi, je trouve qu’il y a péril en la demeure, a déclaré la médecin au micro de l’émission Tout un matin, sur les ondes d’ICI Première.

D’un côté, le gouvernement nous dit : "Oui effectivement, il n’y a pas assez de médecins, on va en former 600 de plus par année", pis en même temps, il y en a 780 qui vont aller au privé…

Avec les choix politiques qui sont faits en ce moment, j'ai l’impression que ni Santé Québec ni le ministre de la Santé considèrent que la privatisation du système de santé est un problème.

Une citation deDre Isabelle Leblanc, présidente de Médecins québécois pour le régime public

La Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ), qui représente plus de 10 000 médecins de famille, a également réagi mardi en fin d'après-midi.

C’est une situation déplorable, mais malheureusement attribuable aux contraintes grandissantes imposées aux médecins de famille dans le réseau public. Les médecins qui terminent leurs études voudraient pratiquer selon leur champ d’intérêt dans leur région, selon les besoins populationnels. Or, le système oriente de plus en plus leur travail et diminue la flexibilité de leur pratique en vertu de contraintes qui datent de plus de 25 ans et ne tiennent pas compte de la pénurie d’au moins 1500 médecins de famille, est-il écrit dans leur déclaration.

Offensive des cliniques privées

Mais pourquoi les médecins sont-ils si nombreux à quitter le système public?

D’abord, il y a une grande campagne des cliniques privées pour recruter des médecins, explique la Dre Leblanc. J’enseigne à des résidents qui se spécialisent en médecine de famille et, dès la première journée de leur résidence, il y a des cliniques privées qui les sollicitent pour qu’ils aillent travailler avec elles après.

Il y a bien sûr les conditions de travail dans le système public qui sont nettement plus exigeantes que dans le réseau privé.

C’est un choix de qualité de vie. Il n’y a pas de garde. On ne travaille pas la nuit, la fin de semaine. L’horaire est de 9 h à 17 h. Les patients sont moins malades parce qu'ils travaillent, sont en santé, ont l’argent pour payer. La pratique est beaucoup moins lourde, a expliqué sur les ondes d'ICI RDI Élise Girouard-Chantal, résidente finissante en médecine familiale et membre du C. A. de MQRP.

Les restrictions qu’impose Québec aux médecins, notamment pour répartir la pratique partout sur le territoire, sont également un irritant de taille.

Les restrictions sont tellement intenses que c’est presque impossible de choisir où on veut travailler et avec quelle clientèle on veut travailler.

Une citation deDre Élise Girouard-Chantal, résidente finissante en médecine familiale et membre de MQRP

Que faut-il faire pour les retenir?

A priori, plus d’argent aux médecins n’y changerait rien, selon Mme Leblanc. Les médecins sont très bien payés dans le système public. C’est vraiment plus une question de conditions de travail.

Pour commencer, dit-elle, il faudrait améliorer les conditions de travail des infirmières, des préposés, etc., afin de les retenir eux aussi, car sans ce personnel essentiel, les médecins ne peuvent prodiguer des soins adéquats dans un contexte de travail sain et agréable.

C’est d'autant plus vrai pour les spécialistes qui souvent ne peuvent opérer ou traiter autant de patients qu’ils le pourraient en raison du manque de salles d’opération ou de personnel pour les assister. Et c’est ici que l’attrait du privé est le plus délétère pour le système public, car en le privant d’infirmières, de médecins et de personnel, la qualité des soins ne peut qu’y péricliter.

Bref, plus le privé attire de gens, moins le système public est efficace et moins il devient intéressant d’y travailler.

Selon Élise Girouard-Chantal, résidente finissante en médecine familiale, les décisions des gouvernements successifs ont graduellement ouvert la porte au privé en santé au Québec.

Par exemple, le Québec est la seule province où les nouveaux médecins, à la fin de leurs études, peuvent choisir entre une pratique publique ou complètement privée. Dans les autres provinces, des lois interdisent de pratiquer exclusivement au privé.

C’est ce qui explique qu’au Québec on a 780 médecins qui travaillent au privé. Dans le reste du Canada, on parle d’une douzaine.

Une citation deÉlise Girouard-Chantal, résidente finissante en médecine familiale, membre de Médecins québécois pour le régime public

On a organisé la première ligne autour des groupes de médecine familiaux qui sont des partenariats privé-public, on fait de la sous-traitance au privé pour les chirurgies, on a désassuré certains services : la psychothérapie, la physiothérapie. Ça, ça donne de la place au marché privé pour s’installer, explique la Dre Girouard-Chantal.

Selon une compilation effectuée par Radio-Canada en août 2023, pour tenter de réduire les listes d'attente en chirurgie, une douzaine d’établissements de santé québécois ont lancé des appels d'offres afin de confier au secteur privé plus de 600 000 procédures médicales au cours des cinq prochaines années, pour un total de près de 500 millions de dollars.

Or, une migration du système de santé vers le privé ne peut constituer une solution viable à long terme, martèle MQRP.

Les cliniques privées, elles sont là pour faire de l’argent, pas pour donner des soins. Elles prennent plus ou moins les patients qui sont les plus riches et en meilleure santé.

Une citation deDre Isabelle Leblanc, présidente de Médecins québécois pour le régime public

Tous les gens un peu plus malades, avec des maladies un peu plus complexes, avec des problèmes de santé qui arrivent le soir ou la fin de semaine, tous ces gens-là sont soignés par le système public. Ça fait que les médecins qui restent dans le système public, leur charge de travail est de plus en plus grande parce que ce sont eux qui font les gardes et les quarts de nuit.

Les gens qui vont au privé, eux, c’est des horaires genre de 8 h à 16 h sur semaine […], mais ce n’est pas ça, le rôle d’un médecin.

Stéphane Bordeleau

Radio-Canada


À propos de l'auteur