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Coeur des Mots   

Quand toute une ville ralentit (Lac Mégantic)

Croustille | Publié le 6/7/2024, 09:19 | 857 Vues

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSSE

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Lac-Mégantic a dû se réinventer au lendemain de la tragédie ferroviaire survenue le 6 juillet 2013, il y a 11 ans. Elle a choisi de le faire en misant sur la douceur. C’est en effet la seule ville du Québec qui fait partie du réseau international Cittaslow, un regroupement de près de 300 villes, petites et moyennes, où il fait bon vivre… lentement. Un dossier de Suzanne Colpron

Si vous trouvez que ça va trop vite, votre bonheur est peut-être à Lac-Mégantic, seule ville québécoise certifiée Cittaslow.

Citta quoi ? Cittaslow, un mouvement international fondé en Italie en 1999 dans la foulée du Slow Food – lequel prône l’alimentation saine et durable, en opposition au fast-food – qui revendique la lenteur au quotidien.

Le concept n’a rien à voir avec « être slowmo », prévient la mairesse Julie Morin qui, plutôt que de « lenteur », préfère parler de « bien-vivre » : une ville où on prend le temps d’échanger, de contempler et de bien faire les choses.

La désignation Cittaslow ne s’obtient pas en un claquement de doigts. La charte comprend 72 recommandations et obligations, classées sous sept thèmes. Parmi elles, la protection de l’environnement, l’implantation de commerces de proximité, la création de places publiques, le soutien des produits locaux et des artisans, la participation des habitants à la vie municipale ou encore la protection du ciel étoilé.

Autant de bonnes pratiques que Lac-Mégantic avait déjà pour objectifs avant d’obtenir sa certification, en 2018.

 Julie Morin, mairesse de Lac-Mégantic

« C’est quelque chose qui nous est cher, d’abord parce que c’est distinctif, mais on pense que ça colle bien à la communauté qu’on veut bâtir », explique Stéphane Lavallée, qui a dirigé le Bureau de reconstruction, au lendemain de l’accident ferroviaire du 6 juillet 2013 qui a coûté la vie à 47 Méganticois. « Je ne dis pas qu’on est à 100 % sur tous les aspects de Cittaslow, mais il y a 72 critères et on travaille fort pour se distinguer dans une majorité. »

Un monde meilleur

L’idée d’adhérer à Cittaslow est venue d’un groupe de citoyens amoureux de leur ville – « particulièrement Claude et Jean », glisse la mairesse de 41 ans dans son bureau de l’hôtel de ville, qui donne sur le lac et les montagnes au loin –, lors du chantier de reconstruction, lancé en 2013

À la suite de la tragédie, la ville avait perdu ses repères. On se disait : qu’est-ce qu’on veut reconstruire comme ville ? Pour ça, il faut savoir qui on est et ce qu’on veut. Il y avait vraiment une quête d’identité

Cittaslow, qui repose sur la philosophie selon laquelle un monde meilleur commence dans sa propre communauté, correspondait à cette nouvelle identité. Le conseil municipal a demandé au Bureau de reconstruction de travailler avec les citoyens pour remplir le formulaire d’inscription : consommation d’eau potable, pistes cyclables, gestion des matières résiduelles, protection des enfants, des personnes handicapées, culture, capacité d’accueil de l’hôpital, etc.

« C’était quand même un gros travail », souligne la mairesse, à la tête de la ville depuis 2017. Le document, traduit en italien, a été envoyé à Cittaslow international en novembre de cette même année.

Six mois plus tard, la ville s’est jointe au réseau qui compte aujourd’hui 297 « villes lentes » dans 33 pays, dont 4 au Canada : Lac-Mégantic, Cowichan Bay et Naramata, en Colombie-Britannique, et Wolfville, en Nouvelle-Écosse.

Vue sur le lac

L’une des premières mesures de l’ère Cittaslow a été la création, au centre-ville, de « corridors verts » : des percées visuelles vers le lac. « Avant, on pouvait passer au centre-ville sans même voir le lac. Alors là, ç’a été prévu. Ce sont des améliorations qu’on a pu faire à cause de la tragédie », précise Julie Morin.

La ville, au cœur de laquelle passe toujours le train, a aussi ajouté des pistes cyclables, des trottoirs plus larges et des panneaux solaires sur les toits des nouveaux bâtiments du centre-ville.

Nous, on a perdu des concitoyens à cause du pétrole. On s’est demandé comment on pouvait donner un exemple et inspirer les petites communautés comme la nôtre, et c’est là qu’est née l’idée de devenir un leader de la transition énergétique dans le monde rural, à la taille des villes de 5000 à 10 000 habitants.

Stéphane Lavallée, entrepreneur et consultant

Lac-Mégantic a convaincu Hydro-Québec de venir installer le premier microréseau électrique dans un centre-ville au Québec.

« Ça aussi, c’est une signature forte, assure M. Lavallée, qui a longtemps travaillé dans les médias écrits, notamment à La Presse. Ça devient, en même temps, un laboratoire humain. C’est-à-dire que la transition, on voit souvent ça sur le plan technologique, alors que là, c’est un projet humain, parce qu’on est en train d’intégrer de nouvelles technologies collaboratives autour de la gestion de l’énergie dans un nouveau HLM en construction. C’est difficile de voir ça sur le trottoir, parce qu’il n’y a pas d’affiche qui dit ça, mais quand tu mets tout ça ensemble, puis l’esprit de la ville, les spectacles gratuits dans le parc, puis plein d’autres trucs, ça fait de Mégantic une ville qui se distingue. »

Une colonne vertébrale

Pour la mairesse Julie Morin, Cittaslow est devenue la « colonne vertébrale » de la ville.

Ce n’est pas qu’une image, c’est vraiment une prise de position, c’est vraiment une manière de vivre. On en parle tout le temps. Et on l’entend de plus en plus. Mon voisin d’à côté est tombé sur le mouvement Cittaslow. Il a dit : “Ben voyons, c’est bien beau, ça !” Il est venu à Lac-Mégantic et il a décidé de déménager.

Julie Morin, mairesse de Lac-Mégantic

Originaire de Granby, Mme Morin est aussi tombée en amour avec cette ville de 5800 habitants, où elle s’est établie en 2011 avec son conjoint, pour fonder une famille et ralentir le rythme. « C’est un joyau encore pas si connu des Cantons-de-l’Est, dit-elle. On est au centre de tout. On est à trois heures de Montréal et à deux heures de Québec. On aime faire des sorties, mais pour le quotidien, on a choisi le bonheur. »

Trouve-t-elle que la vie va trop vite ?

« Bien oui, des fois, on trouve qu’on a une vie de fou, ici aussi ! Mais au lieu de passer deux heures dans le trafic à Montréal, en cinq minutes, je suis à la maison. »

La vitesse des horloges

« Prendre le temps, c’est une prédisposition qu’on doit d’abord adopter, parce qu’il n’y a personne qui vient ralentir les horloges chez nous ! Ça tourne à la même vitesse que tout le monde », ajoute Stéphane Lavallée, dont les trois fils, Jérôme, Félix et Hubert, ont déménagé à Lac-Mégantic.

Jérôme et sa conjointe, Katia Derbel, ont ouvert le Ditchfield, un microtorréfacteur, rue Salaberry.

« La communauté est vraiment forte ici, tout le monde se connaît, tout le monde est super sympathique, mais le rythme de vie est plus lent. Les gens prennent le temps de se voir, puis de passer du temps à l’extérieur », souligne Katia.

À la porte voisine, Sarah Girouard dirige le Quartier artisan, dont la mission est d’outiller les artisans entrepreneurs de tout le Québec. « Au début de la pandémie, je ne me suis pas posé la question bien longtemps, lance-t-elle. Je connaissais beaucoup de monde, le projet Quartier artisan était déjà bien ancré, mais il manquait une véritable présence à ce moment-là. Donc, j’ai acheté une maison, un chien, un char, tout le kit ! »

Texte Suzanne Colpron

La Presse Canadienne



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